PISTOCLÈRE, LYDUS[3].

PISTOCLÈRE.

Dieux immortels ! que je sens vivement ce que je sens là ! quelle en est la cause ? je l’ignore. Je crois fuir, et je ne bouge pas. Je ne vois aucune apparence de feu, et je suis tout en feu. Que suis-je autre chose qu’un vaisseau battu par la tempête ? Je sens un mal inconnu et tout nouveau : se peut-il que la terre brise et tourmente un homme à ce point ! car je n’ai touché aujourd’hui que la terre et le port ; mais si tel est le port qui me reçoit, c’est moins un port qu’un abîme ! On a dit pourtant que les premiers hommes sortirent du sein de la terre. Quoiqu’ils sentissent qu’ils n’avaient pas l’être après lequel ils aspiraient, ils n’étaient rien avant de l’avoir reçu. Quel est donc mon malheur ? est-ce sur terre, est-ce dans le port que j’ai fait naufrage ?

LYDUS.

Cet homme-là est un amoureux ; et c’est pour cela sans doute qu’il a parcouru si soigneusement toutes les places, les temples, les théâtres, les portiques, tous les lieux d’assemblée, les maisons des courtisanes, et jusqu’aux réduits les plus secrets.

PISTOCLÈRE.

Oui, j’ai fait naufrage, je l’avoue. C’est Bacchus et non pas Neptune qui pousse ma frêle barque vers ces bords, qui la tourmente, qui l’agite, que dis-je ? qui la brise et la met en pièces.

LYDUS.

C’est Bacchis, je le vois, qui excite cette tempête : c’en est fait, cet homme n’a plus la force de ramer.

PISTOCLÈRE.

Il vaut autant retourner au milieu des rochers, y perdre les biens et la vie. La fortune est inconstante, les destins capricieux se jouent des mortels. Pendant que je rends service à Mnésiloque mon ami, pendant que je lui retrouve une maîtresse avec laquelle il aura le temps de se ruiner et de se perdre, je ruine moi-même ma bourse et ma santé à la fleur de l’âge. Si Cupidon le veut ainsi, je suis jeune ; à mon âge on peut se permettre quelques écarts ; il vaut mieux que cela m’arrive à présent que quand je serai vieux. Quoi qu’en dise Lydus, c’est une maxime fort sage que celle qui nous apprend que, pour avoir méprisé dans sa jeunesse Astarté, ou Bacchus, ou quelque autre dieu des plaisirs, on deviendra fou infailliblement ou amoureux dans sa vieillesse. Il faut m’attacher au rocher après le naufrage ; mon père en recueillera s’il veut les débris. Suivez-moi, Lydus. Voici les deux Bacchis : ce sont elles qui causent tout ce bacchanal au fond de mon cœur.